Paracétamol, une "drôle" de molécule

Publié le 16 juil. 2025
Paracétamol, une "drôle" de molécule

Un médicament omniprésent

En 2024, près de 440 millions de boîtes de paracétamol ont été remboursées, sans compter les 110 millions supplémentaire contenant du paracétamol en association [1] ou encore les plus de 100 millions vendues sans ordonnance. Notre antalgique préféré bat tous les records et a l’image d’un antalgique sans risque. Pourtant, il a longtemps été oublié après sa découverte et sa synthèse.

Des origines inattendues : du colorant au médicament

Au milieu du XIX° siècle, la découverte et le succès d’un nouveau colorant à base d’aniline, produite à partir du goudron de houille, ont permis l’émergence, à la fin du XIXe, de l’industrie pharmaceutique, héritée de celle des colorants. C’est ainsi qu’à la recherche d’un médicament chimique pour remplacer la quinine, seul traitement des fièvres à l’époque, de nombreux chimistes ont découvert l’aspirine ainsi que d’autres antipyrétiques-antalgiques aujourd’hui tombés dans l’oubli, jusqu’à aboutir au paracétamol, lui aussi issu de l’aniline.

C’est une erreur de livraison d’un produit chimique qui a permis la découverte par deux jeunes médecins strasbourgeois des effets thérapeutiques des deux premiers ancêtres du paracétamol : l’acétanilide (trop toxique), puis la phénacétine. Ce dernier médicament déclenchait des pathologies rénales et malgré son succès, a dû être retiré.

En 1878, le N-acétyl-para-aminophénol (ou acétaminophène), c’est-à-dire le paracétamol est synthétisé. Mais il faudra attendre 1948 avant qu’une forme pure de la molécule puisse être produite, et que deux chercheurs américains (Bernard Brodie et Julius Axelrod) en démontrent l’efficacité comme antipyrétiques et antalgiques. Ce n’est qu’en 1957 que le paracétamol sera commercialisé en France par le laboratoire Bottu, après l’avoir été aux États unis en 1955 [2].

Un mécanisme encore partiellement mystérieux

Le paracétamol a longtemps été considéré comme un antalgique d’action uniquement périphérique, c’est-à-dire agissant à proximité de la lésion douloureuse. Aujourd’hui, son action centrale (au niveau du cerveau) a été démontrée.

Les Anglo-Saxons, contrairement à nous, classent le paracétamol parmi les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), comme l’aspirine ou l’ibuprofène. En effet, un mode d’action de plus en plus documenté suggère qu’il agit en s’opposant, comme les AINS, à l’action d’enzymes spécifiques (les cyclooxygénases ou COX-1 et COX-2), qui favorisent la production de médiateurs de l’inflammation (les prostaglandines). Mais, contrairement aux AINS, la cible du paracétamol serait celle d’un nouveau COX, la COX-3. D’autres théories sont encore à l’étude et le mystère persiste.

Une tolérance partiellement remise en cause

Le paracétamol est un médicament particulièrement sûr et efficace, mais depuis 1957, des effets indésirables ont été observés et doivent être pris en compte. Très tôt, le paracétamol a été connu pour son risque hépatotoxique en cas de surdosage. Ce risque pour le foie pourrait survenir plus souvent qu’on ne le pensait. Les personnes de faibles poids (moins de 50 kilos) ou les consommateurs excessifs d’alcool peuvent être susceptibles de subir cette hépatotoxicité, même en respectant la dose thérapeutique recommandée [3].

Aujourd’hui, l’usage continu du paracétamol, notamment en cas d’arthrose, fait débat et incite à la prudence [4]. Comme tout traitement de longue durée, sa prise doit être régulièrement réévaluée par un médecin. La même prudence est recommandée pour les personnes souffrant d’une insuffisance hépatique ou rénale et/ou les personnes âgées.

On constate par exemple que la prise de 4 grammes de paracétamol pendant 4 jours, associé à celle d’un anticoagulant (warfarine) augmente le risque de saignement [5].

La très grande consommation mondiale de paracétamol, et le vieillissement d’une population sous traitements multiples, favorisent d’autant la survenue d’effets indésirables jusqu’alors inconnus ou non détectés.

Mésusage, surdosage et suicide : un danger réel

Le paracétamol est à l’origine de l’une des intoxications les plus fréquentes dans le monde, et reste une cause persistante de décès[6]. Depuis le début de l’année 2025, des adolescents se retrouvent à l’hôpital après un surdosage volontaire de plus de 10 grammes de paracétamol dans le cadre d’un « paracétamol challenge », défi consistant à rester le plus longtemps possible à l’hôpital après avoir ingéré une dose très importante de paracétamol [7].

Le paracétamol est aussi malheureusement utilisé dans le cadre de tentatives de suicide[8].

Lors d’une prise importante de paracétamol, volontaire ou accidentelle, le premier réflexe doit être d’appeler un centre antipoison le plus rapidement possible, même en l’absence de symptômes dans les premières heures.

L’intoxication au paracétamol est la première cause de transplantation hépatique[9].

Ce qu’il faut retenir

Le paracétamol est avant tout un médicament, dont la prise doit être raisonnée. Sa bonne tolérance apparente fait parfois oublier qu’un surdosage, volontaire ou involontaire, peut avoir des conséquences graves, voire mortelles. Sa prise prolongée sans suivi médical présente un risque, notamment chez les personnes fragiles.

 

Références :   

[1] Medic’AM 2024 - ameli.fr

[2] Histoire du paracétamol Christian Le Marec Le praticien en anesthésie-réanimation, 2005

[3] Mariam Seirafi et Anne Iten - Paracétamol : toxicité hépatique aux doses thérapeutiques et populations à risque - Rev Med Suisse 2007 ; 3 : 2345-9

[4] Recommandations de la Société Française de Rhumatologie sur la prise en charge

pharmacologique de la gonarthrose - Revue du Rhumatisme Volume 87, Issue 6, December 2020, Pages 439-446

[5] Substance active warfarine - vidal.fr - https://www.vidal.fr/medicaments/substances/warfarine-5865.html

[6] B. Mégarbane par le paracétamol : quoi de neuf ? Méd. Intensive Réa (2017) 26:383-395

[7] Intoxications volontaires au paracétamol chez les enfants et adolescents : l'ANSM réagit David Paitraud 2 février 2025 - Vidal.fr

[8] Décès Toxiques par Antalgiques Résultats 2022 - addictovigilance.fr - https://ansm.sante.fr/uploads/2024/05/29/20240529-plaquette-dta-2022.pdf

[9] Paracétamol et risque pour le foie : un message d’alerte ajouté sur les boîtes de médicament - Communiqué - ANSM 2019 - https://ansm.sante.fr/actualites/paracetamol-et-risque-pour-le-foie-un-message-dalerte-ajoute-sur-les-boites-de-medicament-communique

Dr Jean Michel Mrozovski
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